Lectures

Pourquoi pas la vie

Que se serait-il passé dans la vie de Sylvia Plath si son suicide n’avait pas abouti ? Qu’aurait-elle pu élaborer qu’elle n’eût le temps de faire ? Quelles réalisations, aussi bien psychiques, affectives ou physiques auraient pu se produire qui sont restées à l’état embryonnaires ou bien ont été avortées ? Quels autres impacts aurait eu son génie de poétesse et d’écrivaine dans son entourage et sur cette époque des années soixante et en quoi ceux-ci auraient-ils pu être différents que ceux causés par son absence ?

Coline Pierré explore cette piste des si, du conditionnel en tramant une version parallèle de la vie de Sylvia et de ses proches, une autre ligne de temps, un peu comme chacun d’entre nous peut le faire en PNL (Programmation Neuro-Linguistique) pour aller soigner son passé, en corrigeant les manques ou en atténuant les trop pleins. Pour Sylvia, il ne s’agit pas seulement de continuer à vivre ou de survivre, elle veut se remettre à lire et à écrire, elle veut se remettre à exister.  (p. 335)

Et de même qu’en hypnose, cette re-modélisation d’histoire de vie peut produire des changements aussi subtils que profonds, cette version imaginaire qu’elle nous livre avec fraîcheur opère comme un baume sur nos vies contemporaines.

Réarranger la réalité pour composer sa petite fiction. Amender, édulcorer, enrober, ornementer son histoire pour se raconter telle que l’on voudrait être lue, pour monter aux autres ce qu’on veut qu’ils voient de nous, et surtout pour se regarder soi telle qu’on aimerait être. (p. 196)

En parant aux écueils possibles à la fois temporels (explosion des mœurs, recherche d’émancipation de la femme…) et atemporels ( désirs de fusion, besoin de reconnaissance, conflit de rivalité, de jalousie, blessure d’abandon, de trahison…), l’autrice jette un pont entre le monde d’hier, celui d’aujourd’hui et même de demain, à l’instar de son héroïne qui déclare :

Je veux écrire au futur. Je veux écrire sur ce que je voudrais voir advenir plutôt que sur ce qui a eu lieu. Sur ce qui pourrait être formidable plutôt que sur ce qui a foiré. Sur ce que la colère produit plutôt que sur ce qui l’a engendrée. (p. 359)

Un portail ouvert, catalysé par l’énergie décapantes des sixties et un féminisme effervescent, qui nous invite à franchir nos différentes versions de nous-mêmes.

Sylvia ouvre le vingt-cinquième cahier de son journal, commencé à l’âge de onze ans. Cela fait bientôt vingt ans qu’elle le tient, et pourtant, elle a le sentiment de commencer à peine à vivre. Que tout ce qu’il y a eu avant ne constitue rien d’autre que le brouillon d’un roman tout neuf. Un roman dont elle serait pour la première fois la seule héroïne, ayant enfin cesser de chercher quelque part dans le monde un double masculin, une entité à vénérer ou un modèle auquel obéir pour justifier sa liberté. (p. 372 )

Je sais désormais que c’est l’inimaginable qu’il faut viser. Que ce qui peut nous rendre heureux, ce n’est jamais ce qu’on a planifié. C’est ce qui échappe à nos logiques, contredit nos certitudes et bouscule nos archétypes.(p. 374)